Au coeur de votre cave à cigare, un ennemi menace votre trésor. Son nom : le Lasioderma serricorne.
Tout fumeur, soucieux de la qualité de conservation de ses cigares, veille à ce qu’ils bénéficient d’un taux d’humidité et d’une température optimales. Mais l’amateur, se doute-t-il, qu’un autre ennemi menace de manière insidieuse l’intégrité physique de ses précieux puros ?
Un jour où votre curiosité vous amène à regarder de près votre cave à cigares, vous découvrez par inadvertance un peu de sciure de tabac au fond de celle-ci. Vous n’y prêtez pas attention, croyant que cette poussière provient de manipulations répétées. Certes, lors d’une nouvelle visite, vous notez qu’il y en a davantage, mais ce détail ne vous inquiète pas pour autant. Inévitablement, le jour de la sinistre découverte arrive. Au moment, où vous vous apprêtez à déguster un de vos cigares favoris, vous apercevez un trou d’un millimètre de diamètre géométriquement parfait traversant la cape. Etonné, vous l’examinez avec soin et vous en trouvez un second, identique au premier. A ce moment là, votre sang ne fait qu’un tour : des vers dévorent vos cigares !
De quoi s’agit-il ? L’insecte responsable des dommages causés à vos cigares est un minuscule coléoptère appelé Lasioderma serricorne. Il habite sous les latitudes tropicales où les conditions climatiques lui sont favorables. L’insecte adulte de couleur brun-orangé, mesure de 2 à 3 millimètres de long et porte une paire d’ailes sous ses élytres. Bien qu’il se nourrisse de tabac, il y a peu de chance pour qu’il soit à l’origine des dégâts commis sur les cigares car ses nombreux oeufs et larves transitent plus facilement dans toutes les formes de tabac. C’est donc les larves qui provoquent les dégradations les plus importantes en creusant des galeries dans la tripe des cigares.
Les seuls signes de l’infestation sont les petits trous que percent ces vers à travers les capes, et la sciure de tabac qui en résulte. Vous pouvez donc acheter des cigares apparemment sains, exempts de perforations, en ignorant leur contamination par des oeufs ou des jeunes larves de Lasioderma. Cela n’entraîne pas de conséquences néfastes si vous les fumez de suite, puisque la combustion les détruira. Il en va autrement si vous désirez les conserver. En effet, il suffira de 6 à 10 jours pour qu’à une température comprise entre 22 et 27°C, les oeufs du coléoptère du tabac éclosent. Sous nos climats tempérés, l’été semble être la saison la plus propice à la naissance des larves. Ces dernières, à la manière de celles de la vrillette du bois – qui fait aussi partie de la famille des Anobiidae -, vont se nourrir voracement du tabac tout en creusant des galeries pendant 2 à 3 semaines. Au terme de leur développement, elles vont se métamorphoser en imago ou insecte adulte dont la durée de vie est de 3 à 4 semaines. Ainsi, en même temps qu’il constate les dégâts commis dans son coffret à cigares, le fumeur peut y trouver, le Lasioderma adulte.
L’attaque du coléoptère du tabac sur les puros a pour conséquence de perturber sérieusement leur bonne combustion. Les trous présents à leur surface agissent comme autant de cheminées relayées entre elles par de multiples conduits. Le cigare se consume irrégulièrement et cela à pour effet de diminuer de façon significative le volume de fumée en bouche. Il est inutile de préciser que cela porte atteinte à la qualité de la dégustation. Les solutions de fortune qui permettent néanmoins de fumer ces cigares abîmés, telles celles qui consistent à obturer les orifices indélicats par de la mie de pain préalablement mâchée ou par collage de morceaux de papier gommé ne sont que des pis-aller. Les dommages causés par le Lasioderma, sont irrémédiables.
Néanmoins, deux méthodes radicales existent pour détruire les oeufs et les larves du coléoptère, dans la mesure où les amateurs auront eu la chance de détecter assez tôt la contamination de leurs cigares. La première consiste à les congeler (température de – 30°C, atteinte dans un congélateur ménager) durant au minimum trois jours à l’intérieur d’une boîte hermétique en laissant le moins de vide possible. La seconde solution est l’exposition des cigares infestés à une chaleur de 60°C pendant 30 minutes. Pour être justes, nous ne sommes pas en mesure de conseiller à nos lecteurs l’une ou l’autre de ces méthodes car nous ne les avons pas testées. Pour cette raison, nous ignorons les effets pervers qu’elles peuvent entraîner sur la structure du tabac. Dans la mesure du possible, il est préférable de ne pas éprouver les cigares par des traitements thermiques aussi sévères. La prévention de l’éclosion des oeufs du coléoptère du tabac par le maintien de la température de stockage au-dessous de 20°C reste la réponse la plus adéquate pour combattre ce fléau, car cet insecte a développé une résistance phénoménale aux poisons, à commencer par la nicotine.
Les Anglo-saxons ont donné au Lasioderma le surnom de « cigarette beetle » (scarabée de la cigarette) en raison de sa prédilection pour toutes les formes stockées de tabac : feuilles, cigarettes, cigares et chiques. Un tel régime alimentaire à de quoi dérouter, lorsque l’on sait que la nicotine servait d’insecticide avant d’être supplantée par les substances toxiques de synthèse. Certes, l’acquisition d’une immunité contre certains poisons, ou mithridatisation, est courante chez les insectes, mais celui-ci se nourrit des plus mortels. Ainsi, il s’attaque aux stocks de poudre de pyrèthre, dont les dérivés sont largement employés dans les bombes aérosols pour tuer mouches, moustiques, guêpes et fourmis. Cette singularité explique l’inefficacité des fumigations qu’appliquent régulièrement les fabricants de cigares à leurs entrepôts dans le but de les assainir. Les amateurs de cigares pourront éventuellement se consoler en apprenant que le coléoptère du tabac ne s’en prend pas exclusivement au tabac, mais également à d’autres produits d’origine végétale comme le riz, le poivre, le gingembre, les graines, le raisin, et se régale aussi de produits d’origine animale tels le poisson séché, les aliments pour animaux domestiques, etc. ; sans oublier les excréments de rongeurs. Voilà un insecte qui ne craint pas les indigestions !